TROIS JOURS DE RANDONNÉE SUR LES CHEMINS DE PÉLERINAGE DU KUMANO KODO

L’incroyable péninsule de Kii
Jour 1 : On se fait les jambes
Ca y est, c’est le départ. Après un bus (bien rempli, la beauté de ce chemin secret commence à être connue) nous voilà à Takijiri-oji, le point de départ du chemin.
Les forêts de la péninsule de Kii sont sacrées depuis des temps anciens, avant l’arrivée du bouddhisme au Japon (VIe siècle). Les dieux y résident, en accord avec les croyances shintoistes. A partir du IXe siècle, les empereurs et nobles du Japon ont commencé à effectuer le pélerinage qui traverse la péninsule en se recueillant dans 3 grand sanctuaires et des petits temples subsidiaires appelés ojis. De nos jours, le chemin est inscrit au patrimoine mondial de l’Unseco.

Ca commence fort : une montée abrupte dès le début de la randonnée, sans préambule. Mais nous sommes dans une magnifique forêt composée entre autres de cèdres, de camphriers, et d’érables du Japon dont le vert tendre des jeunes feuilles est incroyable. Tout au long du chemin, des tampons sont répartis aux points importants du pélerinage. Nous tamponons scrupuleusement nos carnets de voyage. De tout le périple nous n’en aurons oublié qu’un : le premier à Takijiri-oji !

Nous marchons avec un bon rythme, le chemin devient plus plat par la suite, et nous atteignons notre but du jour : le village de Chikatsuyu, aux alentours de 15h.
Nous sommes sous le charme : le village se situe dans une petite vallée au sein des collines du Kumano Kodo, la vue est dégagée. Rizières, agrumes, pomme de terre : les habitants semblent vivre de l’agriculture.

Notre première nuit restera un excellent souvenir. Nous logeons dans une sorte de maison d’hôte avec 2 Espagnols et 2 Australiennes. Notre hôte est une femme indépendante, bavarde et drôle, un vrai personnage d’animé ! A grands renforts d’onomatopées et d’un anglais pas si mauvais que ça, elle engage la conversation, et nous recommande un onsen pour la soirée. Elle nous fait comprendre son attachement pour sa région où il y a tout ce qu’il faut pour bien vivre : du riz, du thé, des agrumes et des pommes de terre qui y poussent, du poisson dans les villes côtières, et de beaux onsen avec une eau un peu magique. Elle passe un peu de musique en continu dans la maison, c’est celle de son ami DJ et chaman à Osaka.
Donc, nous allons au onsen qu’elle nous a conseillé, le onsen de “Vénus”. Pour indiquer le chemin, elle a fait un mouvement de “zigzag” avec la main… Pas très précis. Mathieu réussit à demander son chemin en Japonais à un monsieur qui travaille dans son jardin. On arrive au camping. On se croirait presque dans Twin Peaks. L’accueil est une baraque en rondins de bois très glauque à la décoration veillote (le terme est euphémique) Mais le patron est totalement différent du lieu, plutôt chic.
Les onsen font partie de la culture japonaise. Il s’agit de bains d’eau chaude issus de sources d’origine volcanique, qui auraient des bienfaits thérapeutiques. Les hommes ne se baignent pas avec les femmes. D’abord, il faut se déshabiller complètement dans le vestiaire. Puis on entre dans la salle du bain chaud qui comprend aussi des douches. Avant d’entrer dans l’eau chaude, il faut se laver assis sur un petit tabouret. Une fois propre, l’entrée dans le bain chaud est autorisé. L’athmosphère dans cette pièce est celle d’un hammam. Une fois trempé dans le onsen, on retourne au vestiaire s’habiller, et se faire un brushing ou se raser la barbe si on le souhaite. Le onsen est une sorte de bain public.
Avec Mathieu, on prend notre courage à deux mains et on pousse la porte chacun de notre côté. Au final dans ce tout petit village, on est seul cdans nos bains respectifs. Le bain est très agréable mais l’eau est très chaude, on y reste peu de temps.
Pour finir, il ne faut pas oublier de décrire le délicieux repas que nous avait préparé notre hôte. Une sorte de curry, avec du riz et plein de légumes, du bambou cuit, des champignons et du poulet un peu frit (tempura) et des petites pommes de terres. Elle était fière de nous expliquer que tout venait du village ou de la région. Salade de fruits en dessert (oranges locales). Je crois que c’est le meilleur repas que j’ai mangé au Japon. Voilà comment s’est finie cette excellente première journée, nous nous endormons avec les bruits de la nature, crapauds et grillons, et probablement d’autres animaux que je n’identifie pas.
Jour 2 : Des animaux et deux kilomètres de trop
27 km, d+ 1250m d- 1270m
Hier nous avons marché 13 km. Aujourd’hui, ce sera 27 km. Nous rejoignons d’abord Hosshimon-oji (étape classique) puis nous poursuivons jusqu’à Hongu pour enfin rallier Yunomine. Le manque de jours nous a forcé à doubler une étape, mais nous avons vu que c’était faisable en faisant nos recherches sur le chemin de randonnée. Il fait beau, comme la veille. L’étape commence par une petite mise en jambe sans trop de dénivelé, entre notre village et le suivant. Nous marchons à un bon rythme car le soleil se couche tôt, autour de 18h, et qu’il faut arriver tôt dans les logements le soir, les Japonais mangeant au crépuscule. Les quelques courbatures de la veille ne nous limitent pas. Nous entrons dans la forêt, ponctuée de petits temples et de rivières. Nous faisons une petite offrande à Jizô, le dieux des voyageurs et des enfants.
Sur la carte du dénivelé, il y a 4 “cols”, ascensions un peu rudes car brutales, que nous passons unes à unes à un rythme que nous voulons constant même s’il n’est pas très rapide, sans nous arrêter. L’effort n’est pas facile, mais qu’est ce que ça fait du bien de ne plus penser à rien d’autre qu’à sa respiration, qu’à chaque pas fait l’un après l’autre, qu’à ses muscles qui travaillent ! Sans compter la nature qui est toujous extraordinaire.
Nous ne sommes pas seuls sur le chemin, nous croisons des visages que nous avons déjà vus. Nous croisons peu de villages, pas de points de ravitaillement, heureusement que nous avons le bento que nous avais préparé notre hôte pour le midi. Nous le mangeons à Hosshimon-oji, sur un petit banc en face du temple et de ses 2 toris en bois. Nous sommes fiers de nous. Depuis la veille, nous marchons vite et bien. Il reste 7 km jusqu’au temple de Hongu (un des 3 grands du Kumano Kodo). La fatigue se fait sentir. Nous marchons sur la route pour quelques kilomètres bienvenus. Mathieu m’arrête d’un coup. Il y a quelque chose sur la route devant nous. C’est un serpent. L'animal s’arrête en nous voyant, mais quand nous reculons, il reprend sa lente avancée vers le bas côté, où il continue parallèlement à la route. Nous le dépassons rapidement, fascinés et apeurés. Dans le Kumano Kodo, on peut croiser vipères, frelons agressifs surtout l’été, mille-pattes de grande taille. Pour la première, c’est chose faite. Nous avons fait très attention aux endroits où nous posions nos pieds dans la forêt, mais c’est sur la route que nous avons fait cette rencontre !
En arrivant dans un petit vilage, nouvelle surprise : une fourrure qui court sur la route. En une fraction de seconde, je comprends. C’est un singe !! Les macaques du Japon on le visage rouge et des poils gris. Il y en a 4 au total. Deux qui machonnent une patate douce ou un morceau de bambou qu’ils ont volé, et deux autres perchés sur un établi. Ils nous regardent. C’est une rencontre très impressionnnte tant on ressent que l’humanité est proche quand ils posent leurs yeux sur nous. Un peu de peur aussi, ils pourraient montrer les dents s’ils se sentent trop approchés. Quelques photos et nous les laissons tranquilles. Je suis très heureuse. Nous n’en reverrons plus de la suite du trajet, nous sommes chanceux de les avoir croisés.

A l’arrivée au grand temple d’Hongu, il y a du monde. Ce sont les festivités du printemps. Nous, nous avons mal aux pieds (j'ai des cloques), et au dos pour Mathieu. Nous nous asseyons sur un banc pour souffler. Peu de photos du temple, nous n'avons plus d'énergie.
En partant du temple, nous retrouvons un peu d'énergie en voyant les "danses" des festivités du printemps. Enfants, femmes, hommes, prêtres, sont en tenues de fête. Nous assistons à une parade ou deux groupes (un d'hommes, un de femmes), jettent et rattrapent et font tourner des temples portatifs le plus possible. Nous supposons que le groupe qui tient le plus longtemps a gagné. Ce ne seront pas les femmes cette fois çi ! Il y a une très bonne ambiance mais nous filons.
Car il reste 2 km.
Et sur ces 2 km, seuls 20m sont plats. Sinon, une ascension rude puis une horrible descente. Nos muscles et nos pieds n'en peuvent plus.
Mais l'arrivée à Yunomine Onsen efface tout. C'est comme sur les photos : une petite rivière bouillonnante, quelques maisons traditionnelles autour. On pose nos affaires dans la guesthouse (ce soir, on dort en dortoir) et on file prendre notre ticket pour le Tsubo-yu, le plus viel onsen du Japon, lui aussi classé au patrimoine mondial de l'Unesco (encore un!)

Avec un ticket, on l'a 30min pour nous seuls. C'est un bassin en pierre à côté du lit de la rivière, dans une minuscule cabane. L'eau est d'un bleu surnaturel. Elle est très chaude. On s'y baigne en pensant à tous les pélerins qui nous précédés depuis des centaines d'années pour y effectuer les rituels de purification du pélerinage.
Le soir, nous avons plaisir à discuter dans la salle commune avec une Suédoise et un Taiwanais qui marchent seuls chacuns de leur côté. Il y a aussi 2 Américaines, dont l'une est hématologue ! Il n'y a probablement jamais eu une concentration aussi forte d'hématologues dans ce minuscule village !
Nous appréhendons la journée du lendemain, car ils annoncent de la pluie, et le dénivelé est important sur peu de kilomètres, dans des escaliers en pierre pouvant glisser. Le lever sera à 6h. S'il pleut des cordes à ce moment, nous ne partirons pas mais iront voir l'arrivée par le bus.
Jour 3 Fantasmagorie

La veille au soir, nous nous étions préparé à rebrousser chemin et annuler une des étapes clefs de notre voyage. De toutes façons, nous n'avons pas le choix, les bus ne sont pas légion et si nous voulons atteindre Nashi puis Kii-Katsura où se trouve notre hôtel, il faut bien se lever. L'attente du premier bus à Yunomine se fait sous un ciel clément. Nous devons atteindre Koguchi. Au premier arrêt de bus, nous sommes une trentaine à essayer de nous serrer sous un abribus. Il pleut des trombes. Certains, plutôt que de laisser de la place sous l'auvent prépare le bento de midi sur le banc. Je prends l'air. Celui de la campagne, pas celui des idiots.
A Koguchi, nous retrouvons la suédoise et laissons partir les autres passagers du bus. Nous prenons un peu de temps pour nous équiper et nous fournir de quoi manger. Ensuite nous commençons l'ascenscion. Nous rattrapons bientôt les autres groupes disparates. Nous ne voulons pas traîner, nous savons que la pluie va tomber. Mais quand ? Et avec quelle intensité ?
Nous avançons vite. Bientôt, nous apercevons notre amie suédoise. C'est elle qui bouclera la randonnée en première. Certes, ce n'est pas une course mais ça donnera une leçon aux machomen croisés plus tôt dans le bus. Et puis, la pluie est intense et la randonnée est prévue pour une durée de 7 à 9 heures ...

La forêt se pare alors de couleurs froides faites de vert et de gris mystiques. Nous nous arrêtons aux petits temples où nous apprenons qu'un tronçon du chemin est connu pour ses visions de proches disparus, leur visage apparaissant dans la brume. Je ne croiserai personne, mais l'expérience est saisissante et ce tronçon du Kumano Kodo est certainement un des plus beaus jours du voyage voire de tous mes voyages ... voire de ma vie. C'était réellement magique.
Comme à chaque fois que nous marchons au Japon, le dernier kilomètre est le plus pénible. On descend pendant 500 mètres sur des petites marches pavées un brin glissantes. Mais ce que nous découvrons ensuite nous laisse sans voix.

Le sanctuaire de Nachi nous apparaît habillé de ses habits de brume alors que l'un des habitants nous félicite d'avoir fini notre pélerinage, notre Kumano Kodo. Mais lors que nous nous approchons d'un balcon surplombant la vallée, le Japon nous offre bien plus en dévoilant la cascade dans une douce lumière.

Après nous être régalé de la vue, nous déambulons dans ce joli sanctuaire, voyageons dans le temps au coeur d'un arbre creux et reposons nos muscles fourbus. Nous descendons alors vers la cascade, une des plus belles que je puisse avoir admiré. Marie fait une petite offrande en brulant de l'encens au pied de ce monument naturel.
Nous trouvons ensuite facilement le bus vers Kii-Katsura où nous attend l'hôtel Charmant (Charmantuuuû Hotel) ! Dans le bus, on parle peu, encore trop émerveillé de ce périple pédestre sur un des plus beaux sentiers du monde. Nous sommes très émus parce que nous nous rendons compte que tout ce que nous avons fait au Japon a toujours été parfait. J'étais venu chercher un rêve, le pays du soleil levant m'en aura offert une multitude.
